Les éditions Hugo Desinge proposent le livre "Planète Street Art" de Garry Hunter. Un outil pour mieux comprendre un véritable moyen d'expression, qui ne cesse d'envahir les centres-villes du monde entier et de gagner en notoriété, en respectabilité. Compte rendu de lecture.
Après avoir été ignoré et boudé pendant de nombreuses années, le Street Art est reconnu aujourd'hui comme un vrai mouvement artistique, dont les débuts remontent à la fin du XXe siècle. Il est très tendance, même ultra-mode. Les créateurs exposent dans les galeries des beaux quartiers, les collectionneurs se multiplient et les bobos s'extasient. On oublie même que certains street artistes, une minorité, ne sont que de bons techniciens du dessin et que si leurs œuvres murales se faisaient sur toiles en format plus petit, elles n'intéresseraient personne. Mais les descendants de monsieur Jourdain et des Précieuses Ridicules sont nombreux. "C'est du Street Art, coco...".
Désormais le Street Art, que je défends depuis fort longtemps, est récupéré par les grandes marques de coutures, les constructeurs automobiles, les vendeurs de boissons, les grands médias, les collectivités locales... C’est une vitrine colorée dont raffolent les hommes du marketing. Cette récupération tous azimuts constitue probablement un danger pour l'avenir de ce mouvement artistique, mais après tout, pourquoi pas... Pour remettre les choses à leurs places et informer le grand public, les éditions Hugo Desinge ont la bonne idée de publier " Planète Street Art" du reporter-photographe anglais Garry Hunter, un ouvrage qui présente 30 des plus grands artistes urbains du monde. Il permet de faire le point sur un phénomène créatif de très grande ampleur.
Clik here to view.

Banksy, New Yok City. Photo Jaime Rojo.
Signes de reconnaissance
En premier lieu, Garry Hunter précise quelques points historiques. Le mot "graffiti" ne signifie pas seulement écrire ou dessiner. Dans la Rome antique, il voulait dire : se reconnaître. Le poisson des premiers chrétiens en est un exemple. A l'époque de Shakespeare, graver des slogans contestataires sur les murs était fréquent. Attention nous prévient l'auteur, il faut distinguer le tag, simple signature, du graffiti, texte de jeunes gens révoltés de milieux modestes, du Street Art, grande fresque souvent réalisée par un jeune homme cultivé de bonne famille. Je crois que les frontières sont extrêmement floues et que tout classement pourrait vite devenir réducteur.
Musiques de rue
Tout commence à Philadelphie dans les années 60 où les gangs marquent leur territoire avec des petits signes sur les murs. Des artistes suivent le mouvement et commencent à dessiner des fresques. Aux Etats-Unis, musique Hip hop et Street Art se développent ensemble précise Hunter : "Le hip hop est l'armature du Street Art". Dans Harlem, les métros prennent vite des couleurs. Par murs interposés, les artistes se lancent des duels. Dans les années 2000, la crise économique (les subprimes en 2008), amplifie le phénomène. Une colère artistique, sociale et politique se développe, une réflexion sur l'Humanité aussi...C'est tout cela le Street Art.
Les bons rats
Le rat en pochoir, du pionnier Blek Le Rat, symbolise bien la façon souterraine dont les artistes occupent la ville. Blek le Rat est un artiste parisien qui œuvre des les années 80. Autre pionnier et autre star : Banksy, ultra médiatisé aujourd'hui. Dès ses débuts, il utilise aussi l'image du rat auquel il rajoute une bombe de peinture. Rat = artiste de rue, c'est clair. Beau joueur, l'anglais Banksy rend hommage à Blek Le Rat : "A chaque fois que je crois avoir peint quelque chose", je découvre que Bleck Le Rat l'a déjà fait vingt ans avant ".
Très vite, Banksy passe du graffiti au pochoir dont il devient, grâce à son humour corrosif, le roi incontesté. Il travaille sur les murs de sa ville natale Bristol, où la contestation sociale ne manque pas. Avec ingéniosité et originalité, Banksy réussit à l'incarner. Banksy, c'est l'image choc au bon endroit, un géant de la communication. Souvent, Banksy s'en prend à la police, son pochoir où l'on voit deux policiers anglais s'embrasser sur la bouche ne passe pas inaperçu. Banksy adore bouleverser les codes. Ici, l'oeuvre d'art devient une arme...Mais attention : Banksy n'aime ni les armes, ni les guerres.
Clik here to view.

Banksy, Londres. 2001. Photo Garry Hunter.
Grâce à lui, le pochoir se développe partout dans le monde.
Gourou et collages
Shepard Fairey est un affichiste très connu, qui a un grand talent pour vendre ses produits dérivés... Il commence par dessiner des t-shirts et des skateboards. Cet américain, né en 1970, est surtout connu pour son curieux personnage, stylisation d'un visage de bouddha ou plutôt d'un gourou autoritaire : Obey. On l'aperçoit ici, dans la main de cet homme, coiffé d'un chapeau. J'aime beaucoup Fairey car il a un sens du graphisme et du décor assez incroyable. En 2012, il réalise à Paris à l'angle de la rue Jeanne d'Arc et du boulevard Vincent Auriol, une fresque de 40 m de haut. Il détourne souvent les codes graphiques des régimes communistes. Mais je trouve que c'est dans les détails qi'il excelle : le décor rouge derrière le personnage, les ombres sur les visages. Comme beaucoup d'autres street artistes, il sait parfaitement placer sa composition par rapport au décor naturel existant.
Clik here to view.

Shepard Fairey, New York City. USA. Photo Jaime Rojo.
Il a aussi réalisé l'affiche de campagne, à la présidence des Etats-Unis, de Barack Obama en 2008 et cela a beaucoup contribué à sa notoriété. Le journal New Yoker affirmait à l'époque : "C'est tout simplement l'affiche américaine politique la plus efficace depuis 'UncleSam Wants You' ". Le livre lui consacre un chapitre, de même qu'à Swoon, la reine du collage new-yorkais dont j'ai déjà vu les oeuvres lors d'une belle exposition sur le Street Art au Musée de la Poste. Cette artiste a travaillé sur le Régents Canal de Londres et à la Biennale de Venise. Ses personnages sont souvent très expressifs, avec une multitude de traits fins. Le thème de l'eau, des rivières, est très fréquent dans le travail de Swoon. Je trouve touchante cette femme au corps décharnée et au regard vers les cieux. Elle semble sortir d'un marécage, un crabe sur la poitrine, et le mélange entre modernisme et classicisme est très réussi.
Clik here to view.

Swoon, Londres, Royaume-Uni. Photo Garry Hunter.
Monsieur tout le monde sort de l'ombre
JR (référence à la série américaine Dallas), vient de réaliser une œuvre très remarquée sur et dans le Panthéon. Il se qualifie lui-même de photo-graveur. Il photographie ou demande à des gens "ordinaires" de se photographier via un camion cabine, puis réalise des affiches très grand format qu'il colle dans les favelas brésiliennes, un quartier de Manhattan, à Shangai etc. Il se fait remarquer dès 2006, après la réalisation de "Portrait d'une génération", des photos de jeunes des quartiers défavorisés en grand format. D'abord illégal, ce projet devient officiel quand il est récupéré par la mairie de Paris.
Aujourd'hui, son travail est de plus en plus reconnu par les médias français. Lui, continue de se cacher derrière son chapeau et ses lunettes noires qu'il ne quittent jamais ou presque. Il réalise une œuvre qui fait date, en collant d'immenses portraits de Palestiniens et d'Israéliens sur le haut mur de séparation. A Londres, il colle cet enfant qui se voile pour éviter d'éventuels gaz lacrymogènes... JR a beaucoup travaillé sur le conflit israëlo-palestinien. Ses personnages illustrent souvent une époque complexe, diverse, constituée de communautarismes et de révoltes; de sans voix aussi...
Clik here to view.

JR, Londres. Photo Marie-Aschehoug-Clauteaux.
Toujours de la peinture
De nombreux street artistes continuent d'utiliser la peinture à même le mur. J'adore l'italien Blu, il réalise de gigantesques fresques, en utilisant au mieux, fenêtres ou cavités des murs, dans ses créations. Il est aussi l'auteur de nombreuses vidéos d'animation, dans lesquelles on peut suivre rapidement l'évolution de ses oeuvres. Il a beaucoup travaillé à Buenos Aires et Berlin. Ses œuvres allient poésie et efficacité.
La vie des bêtes
Roa est belge, son dessin est précis, classique. Il travaille en deux temps. La journée il fixe les contours de ses sujets et il les peint la nuit. Ses animaux recouvrent les murs du monde entier. Ici, sur le mur de droite, son éléphant de mer nage en plein Miami. Ses grosses bestioles inquiétantes, surgissent pour surprendre le passant et bien lui faire comprendre la petitesse de sa condition...
Clik here to view.

Roa (à droite). Miami. Photo Jaime Rojo.
Aérosol et pointillisme
L'australien Jimmy C pratique par touches séparées qui reprend les codes de l'impressionnisme et bien sûr ceux des peintures en pointillées des aborigènes. Il qualifie son travail "de pointillisme aérosol". Pour réaliser de telles œuvres, avec autant de couleurs, il a besoin de beaucoup de matériel. Cette bouche est en fait le détail d'une œuvre réalisée à Londres, mais elle a le mérite de montrer sa technique très particulière. Ce serait en laissant ruisseler quelques gouttes de peintures sur un mur, que Jimmy C aurait trouvé son style pictural.
Clik here to view.

Jmmy C : bouche, détail d'un portrait de Margaret Thatcher. Photo Garry Hunter.
Le temps et les machines
Le Gallois Phlegme réalise de vraies bandes dessinées sur les murs. Il aime placer ses personnages dans une ambiance moyenâgeuse, qui rappelle les frontons des cathédrales gothiques. Il dessine des machines, des télescopes ou des longues vues, une façon de souligner l'importance de la science dans notre société. C'est un artiste très intéressant.
Clik here to view.

Phlegm : longue vue, Londres, Royaume-Uni. Garry Hunter.
Un petit coup de gum
Même pays, autre artiste : Chewing Gum Man. Comme son nom l'indique, il travaille à partir des chewing-gums abandonnés dans les rues. Garry Hunter nous explique sa technique : Il fait fondre au chalumeau les chewing-gums, applique de la peinture émail, puis les recouvre de vernis pour assurer la pérennité de l'œuvre. Ce sont évidement des petites créations mais elles ont leur charme. De plus, Chewing Gum Man grave souvent, dans ses œuvres, le nom des personnes qu'il rencontre dans les rues. C'est un petit cadeau qu'il leurs offre, précise l'auteur. L'artiste a récemment crée un jeu de piste en chewing-gums à travers Londres et certains portent des slogans anti pollution. Certains cantonniers apprécient, d'autres pas...
Clik here to view.

Chewing Gum man, Londres, royaume Uni. Photo Garry Hunter.
Si fragiles
Stik est, lui aussi, anglais. Il ose la simplicité, trop diront certains. Mais je trouve qu'il réussit à donner une belle tendresse et une grande poésie à ses bonhommes, symboles de la fragilité humaine. Pour les anglais, ils rappellent aussi une série pour enfants de la BBC (Bod), nous informe Hunter. Parfois, l'artiste urbain dessine un bonhomme qui vole ses œuvres. Ce serait une manière de proposer une réflexion sur le marché de l'art et la valeur financière d'une œuvre. Les personnages de Stik regardent les passants comme si ils voulaient leurs poser une question ou partir avec eux. Sans aucun effet, l'artiste réussit à faire passer beaucoup de sentiments.
Clik here to view.

Stik, Londres, Royaume -Uni. Photo Doralba Picerno.
Le livre de Garry Hunter, évoque beaucoup d'autres artistes, dont le duo néo zélandais BMD, que je trouve très original et créatif.
Petite critique et grand avenir
Ce livre richement illustré, donne, vous l'avez compris, de nombreux renseignements sur la complexe "Planète Street art". Il a également l'avantage de présenter des artistes du monde entier. Avec ces textes pédagogiques très courts, il est vraiment fait pour ceux qui n'y connaissent pas grand-chose en matière de Street Art. Pour ma part, j'ai regretté, justement, la brièveté des textes, l'absence de date pour les oeuvres. De plus, aucune oeuvre n'est vraiment décryptée, c'est un peu dommage.
Mais ce tour du monde des meilleurs artistes urbains, permet d'y voir plus clair sur le phénomène pictural de ces dernières années : le Street Art. Un mouvement artistique majeur en continuelle évolution.
Garry Hunter a aussi la bonne idée de s'intéresser à l'avenir. Dernièrement, l'éclosion des caméras de surveillance obligerait les jeunes street artistes "clandestins" à travailler de plus en plus vite. Mais cela pourrait aussi donner naissance à de nouvelles techniques. A Londres, un couple de créateurs, Leeper et Meena Narayana propose une chorégraphie lumineuse éphémère. A suivre...
Comme moi, beaucoup d'artistes et d'experts, continuent de penser que la vraie place du Street Art est dans la rue... Les artistes urbains, avec leur colère, leur humour décalé, leurs collages et leurs couleurs éclairent nos lanternes. Ce sont des petites lumières dans un monde un peu perdu. Je crois même qu'ils sont les nouveaux bouffons (sens positif du terme), que les rois d'aujourd'hui, devraient peut-être regarder de plus près... Ce livre, "Planète Street Art" est donc, malgré quelques petits défauts, le bienvenu.
Planète Street Art de Garry Hunter (Editions Hugo Desinge) 128 pages - 17,50 euros